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Pionnier, visionnaire, controversé, prolifique, influent, polyvalent et passionné, réconciliateur de la double nature commerciale et artistique de la photographie, artiste expérimental infatigable, trop méconnu, Edward Steichen a traversé les plus grands évènements de son temps. Il a participé de l’intérieur aux moments cruciaux qui ont fait le XXe siècle, tant pour l’Histoire que pour l’Art, mais en a surtout été un témoin au regard pénétrant qui n’a eu de cesse de vouloir rendre compte de la richesse que procure la dimension plurielle du monde.

Edward Steichen, Self-Portrait with Studio Camera, 1917 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

1.1

1879-1894 : Venir au monde au cœur du monde

Édouard Jean Steichen naît à Bivange, au Luxembourg, le 27 mars 1879. Il a à peine deux ans lorsque ses parents déménagent aux États-Unis d’Amérique, dans la continuité des grandes migrations européennes, mus par l’espoir d’une vie plus prospère de l’autre côté de l’océan. Pour le jeune Édouard, ce sera le premier voyage d’une vie d’allers et de retours entre le vieux et le jeune continent.

Aux États-Unis, la famille s’installe à Milwaukee, dans le Michigan et s’organise. Tout d’abord naît un autre enfant, une fille, Lilian. Puis, la mère d’Édouard lance une petite entreprise de création de chapeaux. Volontaire, pragmatique et ouverte, c’est elle qui gère les finances de la famille et s’engage pour la cause féministe, notamment pour le droit de vote des femmes.

Edward Steichen, Jean-Pierre Steichen, Bequest of Edward Steichen/Collection MNHA Luxembourg © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Mary Steichen, Bequest of Edward Steichen/Collection MNHA Luxembourg © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Self-Portrait with Sister, 1899, Bequest of Edward Steichen/Collection MNHA Luxembourg © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Le père est plus rêveur. Travaillant dans une mine de cuivre, il a une santé fragile et préfère se consacrer à la culture de son jardin, transmettant à ses enfants, sa passion pour les plantes. Édouard, lui, rentre au collège catholique Pio Nono où, s’ennuyant et ne parvenant que difficilement à se plier aux règles strictes imposées, il se fait rapidement remarquer tant pour les farces dont il n’est jamais à court que pour ses talents artistiques.

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L’enfant avant l’artiste

Les plus grands artistes ne sont pas toujours les plus sages… C’est même plutôt le contraire ! Et Édouard, enfant, n’échappe pas à la règle. Sa famille le surnomme Gaesjack (vieux terme luxembourgeois) ou Gaassejong qui signifie galopin, tant il est facétieux.

Ses enseignants, tout comme sa mère, l’encouragent à développer ses aptitudes en peinture et en dessin et il se passionne pour ces activités, même si, parfois, il n’hésite pas à donner un petit coup de pouce à sa créativité…

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Un peu de triche artistique

Dans son autobiographie, Steichen avoue qu’un jour, lorsque l'un de ses enseignants lui a demandé de dessiner des tulipes, il a décalqué les fleurs d'un livre de botanique et a ensuite essuyé les traces des contours.

1.2

1895-1899 : Premières expériences, en peinture comme en photographie, aux origines de l’artiste

À 15 ans, il quitte l’école et commence une formation à l’American Fine Art Company pour devenir imprimeur-lithographe.Très vite, son patron découvre son talent et sa créativité. Il lui offre l’opportunité de découvrir le design, lui faisant ainsi gagner son premier prix pour son graphisme d’une enveloppe. Le jeune Steichen se met alors à créer lui-même des affiches publicitaires et autres supports graphiques, y compris pour la petite boutique de chapeaux de sa mère. C’est là qu’il se confronte pour la première fois à la relation entre le mot et l’image, entre l’art et le contexte.

Définition
Lithographie (n.f.)

La lithographie est un procédé de reproduction qui consiste à imprimer sur papier à l'aide d'une presse, un écrit, un dessin, tracé à l'encre grasse ou au crayon gras sur une pierre calcaire.

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Laxatifs

Édouard crée, pour les laxatifs Cascarets, une affiche publicitaire étonnante : elle est composée d'un élément de la Naissance de Vénus, peinture du XIXe siècle d’Alexandre Cabanel et de la devise « Elles (les pilules laxatives) travaillent pendant que vous dormez ». Avec sa nonchalance maintenant caractéristique, Steichen brise le tabou sur un sujet délicat. Deux ans plus tard, cette publicité est affichée sur une hauteur de 6 étages et une largeur d'un bloc d'immeuble à NYC.

Edward Steichen, Advertisement, American Fine Art Company, 1899

Edward Steichen, My Little Sister, 1895 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Portrait Study, 1898 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Tout en s’engageant en peinture, il s’essaie à la photographie mais ses débuts le déçoivent. En effet, il achète un appareil Kodak et commence à photographier tout ce qu’il voit dans la maison, utilisant tout le film. Mais au moment du développement, seul un cliché est d’assez bonne qualité pour être tiré : ce sera sa première photographie, elle s’intitule My Little Sister et est un portrait de Lilian assise au piano. Il a 16 ans et c’est à partir de ce moment précis qu’Édouard n’aura de cesse de faire des expériences, en peinture comme en photographie, privilégiant d’abord les représentations naturelles qui l’environnent et son entourage.

À 18 ans, le jeune artiste en devenir réalise un autoportrait Portrait Study, primé au Philadelphia Salon. Pourtant, le cliché suscite la controverse dans le milieu de la photographie car la perspective, le cadre et la composition sont inhabituels pour l’époque.

Définition
La définition de la photographie

Qu’est-ce que la photographie ? Du grec phôs, phôtós (« lumière ») et gráphô (« écrire »), la photographie signifie littéralement « écrire avec la lumière ». Inventée en 1826 par Joseph Niépce, à la croisée de l’optique et de la chimie, elle désigne un procédé technique par lequel on peut fixer des images sur un support grâce à la lumière. Depuis sa découverte, elle n’a cessé d’évoluer, avec les inventions successives du négatif, de l’image souple, de la couleur, du film, des photographies instantanées, en relief, des photos numériques, de synthèse et astronomiques. Et c’est une histoire qui n’en finit pas de s’écrire. Aujourd’hui, on distingue la photographie argentique, ou analogique, de la photographie numérique. Le principe est le même : il s’agit de capter et de fixer la lumière que renvoie chaque objet (ce qui fait qu’on le voit avec nos propres yeux d’ailleurs). C’est donc dans la manière qu’elles différent. La première implique l’action de la lumière qui entre par l’obturateur et vient frapper un support pelliculaire photosensible, le film, qui devra ensuite être plongé dans un bain de produits chimiques pour révéler l’image. C’est ce qu’on appelle le développement. Pour la photographie numérique, la pellicule est remplacée par des capteurs qui transforment la lumière en signal électrique, créant des pixels qui, assemblés, donnent l’image.

1.3

1900-1902 : Marquer le tournant du siècle de son empreinte, un pied dans chaque monde

La même année, alors que plusieurs de ses expositions connaissent un succès grandissant au Philadelphia Salon, au Chicago Salon, dans des milieux privés…, il s’embarque avec son meilleur ami pour un périple à bicyclette à travers l’Europe. C’est le début d’une nouvelle vie pour Steichen, entre Europe et États-Unis, au gré des rencontres, des évènements et des inspirations.
Installé à Paris, Steichen rencontre Rodin. Entre collaboration artistique et amitié sincère, leur intérêt mutuel est instantanément réciproque. Steichen appelle même sa fille Kate Rodina, en hommage à Rodin qui devient son parrain. Le photographe est fasciné par le travail de la matière du sculpteur et ce dernier est captivé par la manière dont celui qui fige le moment laisse libre cours à son imagination créative. Pendant près d’un an, Steichen photographie Rodin et ses œuvres dans son atelier.

Carl Björncrantz, Edward Steichen on a bike

Edward Steichen, Rodin—The Thinker, 1902 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Il prend également des cours de peinture à l’Académie Julian qu’il quitte rapidement, la jugeant bien trop académique. Bien intégré dans le milieu culturel, artistique et intellectuel tourbillonnant du Paris de l’avant-guerre, il photographie de nombreuses personnalités comme Anatole France, Richard Strauss ou encore Henri Matisse.

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Le salon parisien du Champs-de-Mars

Pour le salon parisien du Champ-de-Mars, réservé aux œuvres d'art plastique, Steichen envoie des photos très retouchées qu’il présente comme des créations picturales. Les jurés, tous des peintres, acceptent ses propositions avec enthousiasme. Lorsqu'ils se rendent compte du leurre à la dernière minute, aucune de ses œuvres n’est finalement exposée. En revanche, Steichen est placé au centre d'une controverse qui interroge l’entrée de la photographie dans les Beaux-Arts, avec une répercussion médiatique internationale. Cette affaire lui vaudra le surnom d’« enfant terrible de la photographie ».

1.4

1903-1922: Entre les États-Unis et la France, inspirations et expérimentations

En 1902, alors que sa première exposition individuelle mêlant photographie et peinture bat son plein à Paris, Steichen retourne à New York. Il épouse Clara Smith, une danseuse qui lui donnera deux filles et ouvre son propre studio de photographe-portraitiste. Il rejoint, à l’invitation d’Alfred Stieglitz, photographe et éditeur de la revue Camera Work, le mouvement pictorialiste Photo Secession, destiné à promouvoir la photographie en tant qu’art moderne. Ainsi, dans un autoportrait pictorialiste, Steichen se présente comme un peintre alors que c’est la photographie qui est le médium choisi.

Définition
Le pictorialisme

On nomme pictorialisme, la première école de photographie artistique et le premier mouvement international de cet art. Ce courant considère que parce que l’image provient d’une machine, l’appareil photo, elle est une reproduction mécanique de la réalité, et non pas un art. Les pictorialistes traitent le sujet en le réinterprétant esthétiquement à la manière d’un peintre et en le retravaillant dans la chambre noire pour faire des retouches qui confèrent au cliché un statut de création artistique. Ainsi le flou, par exemple, apparait-il comme un « signe de reconnaissance » de la créativité, par opposition à la netteté de la reproduction purement mécanique.

Edward Steichen, Brooklyn Bridge, 1903 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Couverture conçue par Edward Steichen

Edward Steichen, Le Tournesol (1920) © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Self-Portrait with Brush and Palette, 1903 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Ils ouvrent ensemble, en 1905, la galerie d’art moderne The little Galleries of the Photo-Secession ou Gallery 291. Elle se situe au 291, Fifth Avenue à New York, à l’emplacement même de l’ancien studio-atelier de Steichen. Steichen influence Stieglitz sur le choix des artistes à présenter et se mue en ambassadeur de la « french connection », invitant de nombreux artistes modernes de tous bords à exposer leurs œuvres : Henri Matisse, Paul Cézanne, Pablo Picasso, Brâncuși…

Je crois profondément que l’art est cosmopolite. Il faut toucher à tout. Je déteste la spécialisation, c’est la ruine de l’art.

Edward Steichen

S’ensuit, entre Paris et New York, un travail photographique intense, au sein duquel Steichen, avant-gardiste et touche-à-tout, curieux de tout et plus passionné que jamais, s’épanouit en explorant de nombreuses techniques, en menant diverses expériences, notamment autour de l’autochrome, et en investissant tous les champs de la photographie.

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Une des photographies les plus chères au monde

La photographie intitulée The Pond-Moonlight représente une zone boisée et un étang au clair de lune : la lumière de la lune apparaît entre les arbres et se reflète dans l'eau. Bien que le premier procédé couleur, l'autochrome, n'apparaisse qu'en 1907, Steichen réussit à créer une impression colorée en utilisant des couches de gommes sensibles à la lumière qu'il applique à la main. En 1904, lorsqu’il prend cette photographie, bien peu de photographes utilisent cette technique expérimentale. Seuls trois exemplaires de cette photo sont connus (deux conservés par des musées) et, comme l'usage des gommes est manuel, chaque exemplaire est unique. Adjugée pour 2,9 millions de dollars par Sotheby’s en 2006, cette image a été la photographie vendue aux enchères la plus chère au monde.

Edward Steichen, Moonrise—Mamaroneck, New York, 1904 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Il réalise des portraits comme celui de JP Morgan reconnu comme une œuvre classique parmi les portraits en photographie, de personnalités politiques du parti socialiste auquel il adhère dans la lignée de sa sœur et de sa mère, du président américain Théodore Roosevelt…

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L’affaire JP Morgan

Lorsque la commande d’un portrait de JP Morgan lui est passée, Steichen prévoit tout, sauf l’humeur de son modèle. En amont de la séance, il prépare les réglages et la position en utilisant comme référence le gardien de l'immeuble, afin d'écourter au maximum le temps d'attente du magnat de la finance. Lors de la deuxième prise, il irrite légèrement JP Morgan, ce qui fait prendre à ce dernier une mine quelque peu agressive. Par ailleurs, l'éclairage concentré sur l'accoudoir donne l'impression qu'il pointe un poignard. JP Morgan a déchiré ce deuxième tirage, ce qui a suggéré à Steichen la valeur de cette photo. Il en a fait une nouvelle copie, plus grande, qu'il a donné à Stieglitz, pour l’exposer en tant que « chef d'œuvre de la photographie pictorialiste ». Quand JP Morgan a pris conscience que son portrait était considéré comme un chef d'œuvre, il a voulu l'acquérir. C'est seulement quelques années plus tard que Steichen a accepté de lui en vendre une copie.

Edward Steichen, J.Pierpont Morgan, 1903, Bequest of Edward Steichen/Collection MNHA Luxembourg © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

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Création d’un livre pour enfant

En 1930, Edward Steichen réalise avec sa fille, la psychologue Mary Steichen Calderone , un livre pour enfant The First Picture Book, Everyday Things for Babies. Sans texte, ce dernier présente 24 photographies en noir et blanc d’objets du quotidien : un ours en peluche et une balle, un train en bois, un savon… Pris en gros plan et en studio, sous une lumière artificielle, les clichés sont objectifs, dénués presque scientifiquement de toute émotion et donnent à voir les choses qu’ils représentent éloignées de leur contexte. Loin d’être un simple livre d’images, l’ouvrage affirme une certaine vision de l’éducation qui doit conduire l’enfant, non simplement à regarder passivement mais à avoir envie de découvrir le monde qui l’entoure en recourant aux cinq sens et à essayer de se saisir activement des objets qui constituent son environnement.

Edward Steichen, Shoes and Socks - The First Picture Book, 1930 Bequets of Edward Steichen/Collection MNHA Luxembourg © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Il se passionne aussi pour les clichés d’insectes, de fleurs et de plantes et loue, à partir de 1908, un corps de ferme à Voulangis, en région parisienne. Il s’y consacre à des expériences et crée pour la première fois des hybrides de delphiniums pour lesquels il remporte des prix reconnus dans le monde de la botanique : la Médaille d’or à Paris et le Prix de la meilleure récolte de pommes de terre (Seine-et-Marne).

Edward Steichen, Lotus, Mt. Kisco, New York, 1915 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Dana Steichen, Edward Steichen with delphiniums, c.1938, Umpawaug House (Redding, Connecticut) © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Delphiniums, 1940 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Cultiver des fleurs m’a plus appris sur les gens et la nature que vous ne pourriez le croire.

Edward Steichen

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il rentre aux États-Unis et s’engage comme lieutenant de la section photographique du corps de transmission de l'armée américaine. Celle-ci a pour mission de superviser la photographie de reconnaissance aérienne en France. Il sort de ce conflit personnellement éprouvé et meurtri, plein d’amertume, ce qui conduit à la fin de son premier mariage. Ses illusions abîmées, il brûle ses peintures dans le jardin de son atelier de Voulangis. Il décide de se consacrer entièrement à la photographie, rompt avec le pictorialisme et s’inscrit dans le courant de la straight photography. C’est un véritable tournant dans sa carrière.

Définition
La « straight photography »

Amorcé avant la guerre, c’est pendant ce conflit mondial que ce courant artistique prend tout son sens et connait un essor fulgurant parmi les photographes tels que Stieglitz ou encore Paul Strand. En opposition avec le pictorialisme, la straight photography prône l’image pour ce qu’elle est, captée sans artifice ni retravail au moment du tirage. Le réel est donc saisi purement par les seuls objectifs de l’appareil et œil du photographe qui en révèlent les structures, la lumière et les formes pour unique composition. Grâce à des films plus sensibles et des équipements plus légers, la photographie descend dans la rue et donne à voir ce que le monde a de plus réaliste et objectif mais aussi de plus graphique et esthétique, voire abstrait.

Edward Steichen, Milk Bottles: Spring, New York (1915) © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Unknown photographer, Captain Edward Steichen and Camera, Serving with the American Expeditionary Forces in France, 1918. Helga Sandburg Crile Collection

Edward Steichen, Untitled (Vaux), 1918/19 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

1.5

1923-1938: la société consommatrice capitaliste comme support pour les luttes sociales

En 1923, le jour de son 44e anniversaire, Steichen se remarie avec Dana Desboro Glover, une actrice et le couple s’installe durablement à New York. De 1923 à 1938, il rejoint la maison d’édition Condé Nast, dont il devient le photographe en chef. Il réalise des photographies de mode, de célébrités et de grandes stars du cinéma comme l’actrice Greta Garbo, publiées dans Vogue dont il fera la première couverture couleur en 1932. Il travaille également pour Vanity Fair, le faisant accéder au statut de photographe le mieux payé de sa génération.

Edward Steichen, Greta Garbo (for Vogue), 1928 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Edward Steichen, Actor Paul Robeson in costume for Eugene O'Neill's "The Emperor Jones," and looking over the collar of his millitary jacket, Vanity Fair 1933, Condé Nast © Getty Images

Cela ne lui fait pas perdre de vue ses convictions. Parallèlement aux portraits de personnalités afro-américaines qu'il fait dès les années 20, il publie pour la première fois un portrait sur une page de l'artiste afro-américaine Florence Mills pour Vanity Fair en 1924. Il réalise également un portrait de Paul Robeson, premier acteur afro-américain à jouer un premier rôle dans un film américain, en 1933.

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Le procès Brâncuși contre l’État américain

En 1926, Steichen acquiert la sculpture Bird in Space de Brâncuși et souhaite l’exposer aux États-Unis, à la Gallery 291. Mais la douane refuse de la déclarer en tant qu'œuvre d'art et exige une taxe de 600 dollars pour la faire entrer dans le pays. Elle est d'avis qu'il s'agit d'un ustensile de cuisine. Cette affaire débouche sur un procès durant lequel on tentera de définir ce qu’est une œuvre d’art et ce qui fait qu’elle peut être considérée comme telle.

Edward Steichen, Brancusi's Studio, 1920 © 2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York

Acquérant une maison à Redding, dans le Connecticut, où il emménagera définitivement en 1938, il quitte Condé Nast et se consacre à sa passion pour la botanique. Il recommence alors à cultiver des delphiniums et pousse sa passion si loin qu’il organise, en 1936, une exposition d’une semaine au MoMA. Il y présente les fleurs qu’il a lui-même fait pousser. Entre 1935 et 1939, il est même le président de l’American Delphinium Society.

This is Edward Steichen television special produced by WCBS-TV, originally broadcast April 12, 1965. American photographer, Edward Steichen at his property, Umpawaug, in Redding, Connecticut. Shown here with his Irish Wolfhound, Finn Tan. Image dated March 25, 1965. (Photo by CBS via Getty Images)

1.6

1938-1947: L’engagement fait art

Loin de la conception d’un art déconnecté de la réalité, des enjeux de son temps et des grandes questions qui animent la société de son époque, Steichen milite pour des causes comme les luttes contre le racisme, l'antisémitisme, le fascisme et les inégalités sociales qui nourrissent son travail photographique et de réseau.

L’art pour l’art est mort, si tant est qu’il ait déjà existé.

Edward Steichen

Victor Jorgensen, Commander Aboard USS Lexington. Commander Edward Steichen stands on a platform overlooking the deck of the USS Lexington. Propellor airplanes are on the deck, 1943 © CORBIS/Corbis via Getty Images

Pendant la Seconde Guerre mondiale, à 62 ans, il rejoint l’armée américaine en tant que responsable de l'unité de la photographie de l'aviation navale. Il contribue ainsi à poser idéologiquement et esthétiquement l’image de la guerre du point de vue américain. Ce conflit-ci aussi lui laisse durablement une impression douloureuse. Il développe une aversion profonde pour la guerre, ce qui renforce sa conviction que la photographie a un rôle à jouer pour que plus jamais ne se produise une telle tragédie.

1.7

1947-1973: La consécration, nomination au MoMA et œuvre d’une vie

Nommé directeur du département de la photographie du Museum of Modern Art (MoMA) à New York, de 1947 à 1962, Steichen fait passer sa carrière de photographe au second plan pour contribuer à faire connaître d'autres artistes.

Il organise 44 expositions en 15 ans et publie son autobiographique A Life in Photography, l’histoire d’un homme dont la vie se confond avec la construction d’un art. En 1951, en pleine guerre froide, il réalise sa 3ème exposition au MoMA, Korea – The Impact of War qui ne connait pas le succès qu’il avait espéré pour ce projet.

Steichen se tourne alors vers une nouvelle aspiration et commence à préparer son projet d’exposition The Family of Man. Voyageant en Europe et aux États-Unis, il réunit les photographies qui la constitueront. L'exposition, présentée de 1955 à 1965, au MoMA puis partout dans le monde consacre son projet le plus ambitieux : explorer le pouvoir de communication de la photographie, et sa capacité à agir sur le monde autant qu’elle le donne à voir.

Ezra Stoller, Entrance of the exhibition "The Family of Man" at the MOMA, 1955 © Esto

Photographer Edward Steichen (standing, center), director of photography at New York's Museum of Modern Art, assembles some of the photographs to be included in the Family of Man exhibition at the museum, New York, January 25, 1955 © Getty Images

Dans les tout débuts où je me suis intéressé à la photographie, je n’avais qu’une idée : que la photographie soit reconnue comme l’un des beaux-arts. Aujourd’hui, c’est le cadet de mes soucis. La mission de la photographie est d’expliquer l’homme à l’homme et l’homme à lui-même.

Edward Steichen

L’exposition réunit 503 photographies de 273 photographes, professionnels et amateurs, en provenance de 68 pays. Elle est présentée dans près de 160 musées et en 10 ans, accueille plus de 10 millions de visiteurs.

En 1957, sa deuxième épouse décède, laissant Steichen sous le choc après 34 ans de mariage. Mais il se remarie en 1960 avec Joanna Taub, de 54 ans sa cadette. En 1961, il réalise sa dernière exposition au MoMA, sobrement intitulée Steichen the Photographer. Puis il prend sa retraite et devient directeur émérite du MoMA, sélectionnant les photographies qui constitueront sa dernière exposition en tant que curateur : The Bitter Years. En 1964, s’ouvre au MoMA, le Centre de Photographie Edward Steichen.

Edward Steichen décède le 25 mars 1973, deux jours avant son 94e anniversaire. Ce qu’il a laissé à la photographie et ce qu’il nous a enseigné de sa portée n’en finit plus d’inspirer des générations de photographes et son empreinte perdure au Luxembourg.

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Le patrimoine Steichen au Luxembourg

L’œuvre de Steichen est omniprésente au Luxembourg. Le Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA) possède un fonds de ses œuvres personnelles et artistiques qui offrent un large aperçu de son travail et sont exposées en rotation régulière dans une galerie dédiée au photographe. Ces expositions proposent également des clichés de l’artiste collectionnées par la Ville de Luxembourg. Dans la galerie Am Tunnel de la Banque et Caisse d’Épargne de l’État, une sélection de ses œuvres sont exposées en permanence. Enfin, deux des expositions qu’il a créées pour le MoMA en tant que curateur du musée new-yorkais sont conservées par le Centre national de l’audiovisuel : The Family of Man est présentée au château de Clervaux et sa dernière exposition, réalisée en 1962, The Bitter Years est actuellement soigneusement préservée dans les archives du Centre.

Howard Sochurek, Photographer Edward J. Steichen © The LIFE Picture Collection via Getty Images

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